Pointe avancée d’un Québec maritime aux 3 000 km de littoraux, la Gaspésie fut soumise à toutes les influences portées par l’océan Atlantique et le fleuve Saint-Laurent. La péninsule, d’une superficie équivalente à celle de la Belgique, compte seulement 80 000 habitants. Les Amérindiens, Vikings, navigateurs italiens, pêcheurs basques et bretons, ainsi bien sûr que les Français, Acadiens, Loyalistes, Anglais, Jersiais et tant d’autres y laissèrent leur empreinte, façonnant un héritage culturel toujours riche et dynamique. Que de toponymes évocateurs, que d’accents pittoresques d’un village à l’autre ! L’adage selon lequel « plus c’est local, plus c’est universel » prend tout son sens en Gaspésie, où les musées font écho à de grands pans de l’histoire canadienne et européenne. Troisième plus belle destination au monde selon le National Geographic, la Gaspésie est reconnue pour ses paysages à couper le souffle et son accueil chaleureux.
Elle est constituée de cinq aires naturelles et touristiques. A qui en fait le tour depuis Sainte-Flavie, elle dévoile d’abord ses splendides paysages côtiers, dont les monts Chic-Chocs baignés par les eaux froides du Saint-Laurent. Les parcs nationaux de la Gaspésie et Forillon invitent à la randonnée et à l’émerveillement. C’est en bateau que l’on profite pleinement du fameux rocher Percé et de l’île Bonaventure. Longer la tranquille baie des Chaleurs conduit enfin à la vallée boisée de la Matapédia.
La Côte, de Sainte-Flavie à Les Méchins
Notre exploration de la Gaspésie commence tout naturellement au bord du Saint-Laurent, à Sainte-Flavie. La « Porte d’entrée de la Gaspésie » est en apparence à la croisée de deux routes, l’une longeant le fleuve vers le nord-ouest, l’autre menant à la Vallée de la Matapédia, au sud-est. Il s’agit en fait de la seule Route 132, la plus longue du Québec, qui fait une boucle autour de la péninsule.
Les routes de la Gaspésie sont connues pour leurs dix ponts couverts, particularité qui permettait d’éviter le pourrissement du bois du tablier. Les toits en bardeaux de cèdre sont particulièrement photogéniques quand ils sont teints en rouge sang de bœuf. A Sainte-Flavie, le Centre d’art porte le nom du sculpteur Marcel Gagnon, dont Le Grand Rassemblement est une longue et intrigante procession de quelque 80 statues sortant de l’eau au gré des marées.
Suivons ensuite le cours du Saint-Laurent. Les paysages de collines et d’érables de la Côte sont traversés par trois rivières réputées pour la pêche au saumon. A Grand-Métis, Les Jardins de Métis ne sont pas pour rien labellisés Lieu historique national du Canada. Ces jardins à l’anglaise sont une œuvre d’art horticole, tout à fait exceptionnelle à cette latitude. C’est au cours de l’été 1926 qu’Elsie Reford entreprit de transformer son camp de pêche au bord de la rivière Mitis. Quelque 3 000 espèces et variétés de plantes sont aujourd’hui réparties dans une quinzaine de jardins, longtemps les plus nordiques de la côte Est. Des œuvres d’art contemporaines y trouvent aussi leur place.
Connus également sous le nom de The Reford Gardens, Les Jardins de Métis sont ouverts au public depuis 1962. Les villas de Métis-sur-Mer sont un autre exemple du patrimoine anglophone de la région, en ce lieu de villégiature prisé depuis plus d’un siècle.
A 60 km de Sainte-Flavie, Matane est la plus grande ville de la Côte. Le Phare-Musée et le barrage Mathieu-D’Amour, équipé d’une passe migratoire pour les saumons, témoignent avec éloquence de l’identité maritime de la région. Un service de traversier pour passagers et véhicules relie d’ailleurs Matane à la Côte-Nord, via Baie-Comeau et Godbout. Une belle occasion de voir le Saint-Laurent autrement. A l’intérieur des terres, les montagnes et collines boisées de la réserve faunique de Matane cachent des plans d’eau prisés pour la pêche à la truite. Des observations guidées de l’orignal sont aussi proposées aux visiteurs.
Le plus grand cervidé du Québec est omniprésent avec plus de 4 000 spécimens se partageant 1 275 km2 : une densité exceptionnelle !
La Haute-Gaspésie, de Cap-Chat à Grande-Vallée
Les montagnes et falaises de la Haute-Gaspésie forment un décor saisissant pour la randonnée. Par exemple sur le Sentier International des Appalaches, dont la section gaspésienne, entre Matapédia et le parc national Forillon, est le premier itinéraire de Grande Randonnée en Amérique du Nord (GRA1). Sur la route en lacets, nous passons près du parc éolien de Cap-Chat où la plus grande éolienne à axe vertical du monde, Eole, domine les débats de ses 110 m. A 90 km de Matane, la ville de Sainte-Anne-des-Monts est nichée au creux d’une anse. L’un de ses principaux attraits est le musée-aquarium Exploramer aux 21 bassins. La ville est stratégiquement située à la jonction des routes 132 et 299, cette dernière traversant la Gaspésie par les terres jusqu’à New Richmond, dans la Baie-des-Chaleurs. ainte-Anne-des-Monts est ainsi la porte d’entrée du parc national de la Gaspésie, à 40 km de là. D’une superficie de 802 km2, il décline ses paysages spectaculaires en vingt-cinq sommets de plus de mille mètres, en ravins profonds et parois abruptes, en forêts boréale ou subalpine selon l’altitude. Si le mont Albert se hisse à 1 154 m, le mont Jacques-Cartier, culminant à 1 268 m, est le deuxième plus haut sommet du Québec. Le parc abrite des cerfs de Virginie, des orignaux et, sur ses hauts plateaux dont la flore est proche de celle de la toundra, un troupeau de caribous.
Construit en 1906, le phare rouge de La Martre a une structure octogonale en bois aux côtés inclinés. Il a conservé son système d’horlogerie avec câbles et poids, qui permet la rotation du module d’éclairage. Autour de La Martre, de nombreux sites paléo-indiens témoignent d’une occupation humaine il y a environ 9 000 ans. Au-delà, la Route 132 est magnifique jusqu’à L’Anse-Pleureuse, où selon une légende les premiers colons entendirent des fantômes pleurer… Comme quoi la beauté n’est pas toujours contraire à la mélancolie. Avant d’arriver à Grande-Vallée, il faut s’arrêter à la halte routière qui surplombe le village pour bénéficier d’une vue impressionnante sur le cap, l’église et la falaise.
La gastronomie gaspésienne
Outre les produits du terroir, la gastronomie gaspésienne met à l’honneur le homard, le crabe des neiges, le saumon, la loquette d’Amérique, l’oursin vert, le flétan du Groenland et autres poissons frais, sans oublier les fameuses crevettes de Matane ! Depuis 2009, le musée-aquarium Exploramer s’associe à des restaurants et poissonneries pour réduire la pression de pêche sur les espèces en difficulté. Son programme de certification « fourchette bleue », pour une saine gestion des ressources marines, encourage l’offre de saveurs méconnues parmi les nombreuses espèces comestibles du Saint-Laurent. Le logo « fourchette bleue » signale ainsi des produits remarquables à plus d’un titre ! Un mouvement de valorisation des algues comestibles (alarie succulente, main-de-mer palmée, laminaire sucrée, etc…) s’amorce aussi grâce aux « paysans de la mer », qui sont à la fois plongeurs, cueilleurs et promoteurs de l’algue-légume.
Les amateurs de viande ne sont pas en reste, avec au menu de l’agneau nourri aux algues, du cerf roux et du yack ! Les sept microbrasseries recensées en Gaspésie offrent un large choix de bières. Et le Vieux-Moulin de Sainte-Flavie propose ses hydromels maintes fois récompensés.
Histoire de la pêche à la Morue en Gaspésie
Séchée ou salée, la morue se conserve indéfiniment sans réfrigération. Moins coûteuse que le bœuf, le porc ou l’agneau, elle fut un temps la principale source de protéines des Européens et un mets apprécié des catholiques, qui devaient se priver de viande pendant les 166 jours de jeûne obligatoire. Les eaux du golfe et de l’estuaire du Saint-Laurent étant riches en ressources halieutiques, les pêcheurs et marchands européens s’établirent sur les rives du fleuve dès le milieu du XVIIe siècle. Timide sous le régime français, le mouvement prit de l’ampleur suite à la conquête britannique, la morue gagnant en popularité. Les marchands anglo-normands établirent des postes de pêche permanents autour de la Gaspésie, ce qui attira une importante main d’œuvre dans la région. Fondée après la conquête anglaise par le Jersiais Charles Robin, surnommé « l’Empereur de la morue« , la compagnie Robin a la triste réputation d’avoir été l’une des plus rapaces de l’histoire du Canada.
Elle exploita les pêcheurs gaspésiens pendant deux siècles tout en étendant ses activités en Grande-Bretagne, en Méditerranée, dans les Antilles et même en Amérique du Sud. Comme les autres marchands, Robin faisait crédit jusqu’à la fin de la saison de pêche, période à laquelle il fixait aussi le prix de la morue. Comme il augmentait le prix de ses marchandises et baissait celui de la morue selon son bon vouloir, les pêcheurs se retrouvaient généralement endettés et en position de s’endetter plus encore pour passer l’hiver. Robin s’assurait ainsi une main-d’œuvre captive, stable et misérable. Il est à l’origine du premier poste de pêche permanent en 1766, sur le banc de Paspébiac, dans la baie des Chaleurs. Son plus proche concurrent, Le Boutilliers Brothers Co., l’imita 65 ans plus tard en implantant son siège social au même endroit ! Entre 1766 et la fin du XIXe siècle, ces marchands parvinrent à garder la mainmise sur le commerce de la morue. Jusqu’à ce que la crise économique des années 1930 et les changements de mœurs – le poisson se consommant de plus en plus frais ou congelé plutôt que séché – les conduisent à la faillite. La pêche en Gaspésie s’est depuis diversifiée vers la crevette, le crabe, le homard, le concombre de mer et la cueillette d’algues. La Route de la Morue permet d’explorer la culture gaspésienne sur les traces des pêcheurs.
A suivre…
Sébastien
La Gaspésie, berceau du Canada (2/3) La Pointe
Québec, terre des contrastes
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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