C’est en février que j’atterri sur cet archipel en forme d’hameçon, à la douzaine d’îles riches de promesses. Non en Polynésie, mais au Québec, dans le golfe du Saint-Laurent, pour voir et caresser des blanchons, les petits du phoque du Groenland ! La neige et la banquise couvrent alors les Îles de la Madeleine d’un manteau immaculé et scintillant. Au coucher du soleil, le blanc se mêle de rose, jaune et rouge, dans un froid sec et un silence olympien. J’ai vraiment l’impression d’être ailleurs, au bout du monde.
Le vent fouettant mon visage à la sortie du minuscule aéroport a bien un parfum d’aventure. Les 12 800 Madelinots et Madeliniennes accueillent chaleureusement les visiteurs en français. En juin 1534, Jacques Cartier s’émerveillait déjà dans son journal de bord de la beauté de l’île Brion, aujourd’hui réserve écologique. Vallonné, l’archipel est toujours verdoyant en été et ses nombreux phares, ses maisons très colorées, souvent construites au milieu des champs, lui donnent un charme indéniable.
Mais l’histoire de la colonisation des îles témoigne aussi des heurs et malheurs de la présence française en Amérique. D’abord du Grand Dérangement, la déportation des colons de l’ancienne Acadie passée sous tutelle anglaise. Avec plus de 500 naufrages répertoriés, l’archipel est aussi l’un des principaux cimetières marins d’Amérique du Nord ! La traversée en ferry, d’une durée de cinq heures, permet toutefois d’associer à une tournée des charmantes provinces maritimes une croisière sur le Saint-Laurent. Aujourd’hui, de petits avions à hélices desservent aussi les îles quotidiennement, au départ de Montréal, Québec et et Gaspé.
Et six îles, sur les sept habitées, sont reliées par voie terrestre au reste de l’archipel. Du fait de leur isolement avant la construction du réseau routier, le français parlé a encore dans chacune son accent propre ! Les Maisonnois prononcent leurs R comme des Y ou des W, un peu à la créole, alors que les Aubertiliens les roulent allègrement. Autre signe d’un isolement prolongé, tous les coins de l’archipel abritent d’étonnants artistes, dont de nombreux musiciens.
En été, les plages Sandy Hook et de la Grande Echouerie semblent s’étendre à l’infini. C’est que les Îles de la Madeleine comptent environ 300 km de plages de sable, caressées par des eaux pouvant atteindre entre 17°C et 20°C. Les dunes blondes partagent alors le littoral avec des falaises de grès rouge admirablement sculptées par le vent et les vagues, des grottes mystérieuses, havres naturels et baies pittoresques.
Avec de tels atouts, les Îles sont classées par les média spécialisés dans le Top 10 mondial pour les sports éoliens et de glisse. On y pratique avec bonheur voile et planche à voile, cerf-volant et surf cerf-volant (ou kitesurf). Plus favorable à la contemplation, le kayak de mer est l’un des meilleurs moyens d’apprécier le littoral. Il offre une vue imprenable sur les caps, souvent inaccessibles à pied, car l’érosion marine n’est pas toujours visible du haut des falaises particulièrement friables. Les îles se prêtent aussi à la randonnée sur une quinzaine de sentiers offrant des points de vue remarquables, à l’équitation, au vélo si le vent souffle du bon côté, à la plongée, au paddle surf, à la pêche au maquereau et aux mollusques. Les plus aventureux peuvent même s’essayer, après avoir longé les falaises dans la mer, à la flottaison en habit isothermique dans les grottes créées par les vagues.
En hiver, le temps reste doux avec des températures minimales généralement supérieures à -18°C. C’est l’occasion de pratiquer la pêche blanche dans de petites cabanes équipées de poêles, ou des sports de glisse sur les lagunes gelées, tel le ski cerf-volant. Le ski de fond et les promenades en raquettes permettent d’admirer les étoiles depuis la banquise.
Les îles de la Madeleine sont un havre pour de nombreuses espèces animales, dont 313 espèces d’oiseaux marins, riverains et terrestres. En période de reproduction, tous les recoins de certaines falaises sont occupés ! Nombreux sont alors les fous de Bassan, macareux moines, mouettes tridactyles, guillemots, goélands et même pluviers siffleurs, ces derniers menacés d’extinction à l’échelle de la planète.
Les îles abritent une trentaine d’espèces d’oiseaux, de plantes et d’animaux marins désignés en péril au Québec et au Canada. Avec un peu de chance, une sortie en mer est l’occasion d’observer des baleines, marsouins et dauphins à flancs blancs. Le requin chasse dans les parages. Mais l’animal emblématique de l’archipel est incontestablement le « loup-marin », appellation locale des quatre espèces de phoques recensées. Symbole de l’écotourisme aux îles de la Madeleine, le blanchon est aussi affectueusement surnommé « veau » ou « chiot ». Plusieurs millions de « loups-marins de glace » arrivent aux îles en janvier. Ils engraissent dans le golfe du Saint-Laurent durant deux ou trois mois. De fin février à début mars, les blanchons naissent par milliers sur la banquise.
Le lait maternel étant cinq fois plus riche que celui de vache, leur croissance au cours des douze jours d’allaitement est hors du commun : ils triplent leur poids ! Les blanchons doivent attendre un mois avant leur premier plongeon, le temps d’avoir un poil imperméable coloré de gris. On peut ainsi facilement observer les petites boules de fourrure blanche pendant deux semaines. Après le sevrage, les phoques du Groenland remontent en Arctique pour y passer la majeure partie de leur vie. Les blanchons attendrirent le monde entier dans les années 70, quand les groupes écologistes manifestaient contre leur chasse.
Ils ne sont plus menacés depuis 1987, même si les loups-marins sont de redoutables prédateurs pour les bancs de poissons, certains pêcheurs leur attribuant la diminution des stocks. Leur nombre a plus que quadruplé depuis 1970. Au Centre d’interprétation du phoque, les voix et légendes madeliniennes transmettent une partie de l’histoire des îles, où les loups-marins tiennent toujours une place économique et culturelle importante.
Voilà l’occasion unique d’établir pendant deux heures un contact privilégié avec un mammifère marin ! Cela demande quelques efforts et de la chance. L’hélicoptère ne décolle que par une météo clémente et si le coin de banquise où se trouvent les bébés phoques, localisé par balise, n’est pas trop loin.
Tous les feux sont au vert ! Levée à 5H00, j’apprends d’une vidéo comment me comporter. Attention aux trous creusés par les mères phoques dans la glace, parfois recouverts de neige ! Notre petit groupe enfile des combinaisons avec bouée intégrée, peu seyantes mais qui nous font oublier la rigueur du climat. Décollage à 7H00, suivi d’une quarantaine de minutes de vol. L’horizon est infini. A l’arrivée, la banquise semble vivante. Elle unit la terre à la mer, mue par les forces des courants et des vents. Je progresse doucement et silencieusement, entourée de centaines de blanchons, un bâton à la main pour sonder le terrain et éviter de glisser. Loin du bruit de la ville, du stress, de tout ! Libre d’aller et venir à ma guise sous le regard vigilant d’un guide, j’ai le sentiment de vivre un moment exceptionnel.
Âgés de quelques jours, ou nouveau-nés encore encombrés de leur cordon ombilical, les blanchons se laissent approcher, caresser et pouponner, sans préjudice pour eux. Le silence de ce bout du monde, juste troublé par les cris des petits appelant leurs mères, renforce mon exaltation. Mais il faut déjà repartir…
Le grand air et l’exercice appellent une gastronomie roborative. Outre le traditionnel homard, la mer offre aux Îles de la Madeleine ses plus beaux trésors : pétoncles, harengs, moules, crabes et maquereaux.
On compte parmi les plats typiquement madelinots le pot-en-pot aux fruits de mer (sorte de pâté en croûte mêlant crevettes, pétoncles et homard), les galettes de morue salée, le homard en coquille, le chiard (bouilli) à la viande salée, les croxignoles (beignets tressés cuits dans l’huile de loup-marin) et la bagosse (alcool artisanal souvent à base de fruits sauvages). De goûteuses bières sortent de la première microbrasserie québécoise à malter ses céréales de façon artisanale. La Corne de Brume fut même classée parmi les meilleures scotch ales au monde par le site www.ratebeer.com, une référence en la matière.
De ce voyage si riche d’expériences, je garderai longtemps le souvenir de ma rencontre avec les blanchons, un moment intense, hors du temps, d’une touchante beauté.
Stéphanie
L’éveil des blanchons
Sébastien
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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