Qui étaient ces chasseurs nomades vivant autrefois sur les rivages incrustés de glace et la toundra gelée du bassin arctique ? Ces hommes et ces femmes qui, tirant jusqu’à une époque récente leur subsistance de l’un des environnements les plus rudes de la planète, sont pourtant à l’origine de cultures très élaborées ?
Diverses par leurs cultures et leurs langues, les peuples arctiques sont probablement issus de sociétés de chasseurs d’Asie centrale, poussées vers le nord du fait de pressions démographiques autour de la fin de la période glaciaire, il y a 10 000 ans. Parlant en Amérique des dialectes de la langue eskaléoute, ils se désignent par différents noms, dont celui d’Inuit. Quelques tribus indiennes, dont les ancêtres arrivèrent là-bas des milliers d’années plus tôt, sont aussi considérées comme des peuples arctiques. Cela parce qu’elles chassaient de façon saisonnière au nord de la limite des arbres, un meilleur indicateur de l’écologie de ce milieu que le cercle arctique.
Le mot rareté s’impose pour décrire l’écosystème arctique, où l’énergie vitale du soleil est rare. En hiver, celui-ci laisse place à la longue nuit polaire, qui dure des semaines, voire des mois selon la latitude. Six mois plus tard, même le soleil de minuit ne peut pas toujours dégeler le sol, ce pergélisol qui rend l’agriculture marginale dans le meilleur des cas, par exemple pour les Sâmes bénéficiant en Scandinavie de l’influence du Gulf Stream. Les précipitations sont rares et les températures généralement basses, parfois très inférieures à -40°C, même si le réchauffement climatique y est bien plus rapide qu’ailleurs. Mais plus que le froid lui-même, c’est le manque de ressources pour se nourrir, se vêtir et s’abriter qui définit la vie dans l’Arctique.
Pour la plupart des peuples arctiques d’Europe et d’Asie, cette vie était centrée sur le renne. Il était autrefois chassé à l’état sauvage et apprivoisé uniquement pour tirer des traîneaux. Avec l’arrivée aux XVIe et XVIIe siècles des colons et chasseurs européens armés de fusils, le nombre de rennes diminua. Ils sont restés presque sauvages malgré leur domestication, une qualité essentielle pour la migration annuelle lors de laquelle l’homme et la bête se suivaient et guidaient l’un l’autre sur de grandes distances à la recherche de fourrage. Les Sâmes inventèrent ainsi le ski pour suivre leurs animaux sur des centaines de kilomètres. En règle générale, le renne passait l’été dans la toundra et l’hiver au sud de la limite des arbres, où la neige de la taïga était moins croûtée, et les mousses et lichens sous-jacents plus accessibles. Une croûte épaisse – ou une neige profonde peu commune dans l’Arctique quasi désertique – peut entraîner un désastre pour les rennes et leurs propriétaires.
Appelé caribou, le renne du Nouveau Monde n’a jamais été domestiqué. Bien que certains groupes vivant à l’intérieur des terres se nourrissaient de caribous, de poissons et d’oiseaux marins, la plupart des habitants de la côte, ainsi que leurs chiens de traîneau, dépendaient principalement des mammifères marins pour leur subsistance. Les phoques – et dans une moindre mesure les morses et éléphants de mer – fournissaient aussi des peaux pour les vêtements, les bateaux et les tentes d’été ; de l’huile pour les lampes en stéatite éclairant et chauffant les foyers ; des tendons pour faire du fil et de la corde ; des os palliant en partie l’absence de bois. Découvert en 1818 dans le nord-ouest du Groenland, le peuple le plus septentrional du monde, qui ne comptait alors que 150 individus, utilisaient des os de mammifères marins comme patins de traîneaux. A bord de leurs kayaks et grands bateaux ouverts en peaux, appelés umiaks, les Inuits chassaient la baleine armés d’une autre de leurs inventions : le harpon à tête détachable. Une fois la cible atteinte, la hampe se détachait de la pointe munie de crochets, à laquelle était fixée des flotteurs pour épuiser la baleine.
Bien que passé maître dans l’art de l’adaptation, l’habitant de l’Arctique vivait toujours à la lisière de la survie. Des périodes prolongées de mauvais temps causaient fréquemment des famines. Et les maladies introduites par les baleiniers et les marchands de fourrures décimèrent des populations entières. Le centre du Canada fut la dernière région arctique explorée par l’Occident. Peu utilisé ailleurs, le fameux igloo y était alors le principal habitat de véritables nomades. Passant l’hiver le long des golfes et canaux gelés du centre du Canada, ces Inuits se déplaçaient l’été à l’intérieur des terres pour chasser le caribou, dont la peau leur permettait de se vêtir en hiver. Les parkas à capuche confectionnées sur l’île de Baffin, avec deux peaux de caribou cousues dos à dos, les poils vers l’extérieur, sont toujours très appréciées aujourd’hui ! Dernier peuple arctique à avoir rencontré des hommes blancs, les Inuits du centre du Canada utilisèrent arcs et flèches jusqu’au début du XXe siècle. De nos jours, même très minoritaires au nord de la limite des arbres, les peuples de l’Arctique aspirent souvent à plus d’autonomie politique. La création au Canada des territoires du Nunavik et du Nunavut va dans ce sens.
D’après le Dr. Ernest S. « Tiger » Burch Jr., anthropologue
LE GROENLAND ET LA MAGIE DES GLACES
Sébastien
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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