Par JM PUJO
Vous avez certainement entendu parler de Tara. Cette goélette s’est illustrée de septembre 2006 à janvier 2008, par une longue dérive dans la banquise de l’océan Arctique. Elle sert aujourd’hui de support à des expéditions scientifiques d’étude des océans et des phénomènes associés aux changement climatique.
Presque personne n’avait souligné, à l’époque, qu’elle avait navigué dans le sillage de Fridjof Nansen qui avait effectué le même parcours dans des conditions beaucoup moins « confortables », entre septembre 1893 et juillet 1896. Il avait mis 507 jours contre 505 pour son moderne successeur.
Il est possible de retrouver sa trace et même de revivre l’ambiance qui régnait à son bord, en se rendant, à quinze minutes en vedette de l’hôtel de ville d’Oslo, dans la péninsule de Bygdøy où se trouve une pépinière de musées dont le fleuron est celui du Fram avec lequel il a réalisé son exploit. Successivement utilisé par trois grandes expéditions, celles de Fridtjof Nansen en 1893-1896 et Otto Sverdrup en 1898-1902 dans l’Arctique et celle de Roald Amundsen en 1910-1912 dans l’Antarctique, le navire jalousement conservé y est exposé dans son dernier état. Il se visite librement et, si on aime le parfum de l’aventure, il est émouvant de découvrir son aménagement et les objets qui entouraient les hommes qui y ont vécu.
Tout autour du bateau, le musée présente dans des vitrines l’histoire de la conquête des pôles dans laquelle les Norvégiens se sont particulièrement illustrés. Un nouveau bâtiment, inauguré en 2013, abrite aussi le Gjøa, modeste voilier avec lequel Amundsen a réussi, de 1903 à 1906, à franchir pour la première fois le « passage du Nord-Ouest » que commencent maintenant à fréquenter des croisières polaires.
Mais revenons à Nansen et à son bateau. Quasiment inconnu en France mais célèbre en Norvège, l’homme s’est pris dès sa jeunesse d’une passion pour les glaces. Hanté comme beaucoup de découvreurs de son époque par l’ambition d’être le premier à atteindre le pôle Nord, il imagine de s’en approcher en utilisant la dérive d’Est en Ouest de la banquise.
Son plan est « d’atteindre les îles de la Nouvelle Sibérie, de là avancer aussi loin que possible vers le nord, en se frayant un passage à travers les glaces, puis, une fois toute issue fermée dans cette direction, de se laisser entraîner vers le nord-ouest par la lente dérive qui porte les eaux de l’océan Glacial de Sibérie vers le Groenland ».
Il y réussira mais sans pouvoir atteindre le pôle, malgré une audacieuse tentative qui le fait abandonner son bateau avec un équipier pour tenter d’y parvenir à pied avec des traîneaux et des chiens. Restés sur le bateau, ses compagnons poursuivent la dérive. Nansen va atteindre 86°14 N, tandis que son navire « montera » jusqu’à 85°55. Personne auparavant n’avait été aussi près du pôle. Tous retrouveront la Norvège à quelques jours d’intervalle, après deux ans d’absence et trois hivernages, alors qu’on les pensait perdus.
Cette aventure est passionnante, mais nous allons seulement nous intéresser au bateau de l’exploit. Pour le faire construire, Nansen réussit en 1891, à force de démarches, à obtenir une subvention de 200 000 couronnes du parlement de Norvège, que complète une dotation de 140 000 couronnes de la part de mécènes au nombre desquels figure le Roi. Il en confie le dessin à Colin Archer, célèbre architecte naval norvégien du moment, à qui il donne des directives précises. Il doit être « différent de tout autre navire connu. Sa coque, son avant et son arrière (doivent avoir) des formes bien arrondies afin que nulle part la glace ne puisse y trouver prise et présenter partout des surfaces unies de manière à glisser comme une anguille hors de l’étreinte de la glace lorsque ses blocs l’enserreront avec force ».
Parfaitement réalisé par les chantiers d’Archer à Larvik, le bateau baptisé Fram (En avant !) est lancé par la femme de Nansen, Eva, le 6 octobre 1892. Il déplace, c’est-à-dire pèse, 530 tonnes à vide et 800 tonnes en charge, mesure 39 m de long et 11 m de large. Son tirant d’eau varie entre 4 et 5 m selon le chargement.
Sa coque, épaisse de 50 à 70 cm, a un triple bordage dont le dernier est en « greenheart », bois extrêmement dur qu’on ne trouve qu’au Guyana. L’épaisseur de ses flancs est inédite et elle comporte d’impressionnants renforts de structure, qui lui font mériter la qualification de « navire en bois le plus solide qu’on ait jamais construit » !
Le Fram est gréé en 3 mats goélette, donc avec un mélange de voiles auriques et de voiles carrées d’une surface totale de 600 m². Il est aussi équipé d’une machine à vapeur de 220 CV qui entraine une hélice bipale et lui permet de filer 7 nœuds (13 km/h). En plus de l’arbre d’hélice la machine est attelée à une dynamo qui charge des batteries, car il y a l’électricité à bord.
Le Fram emporte huit embarcations, dont un canot à moteur et deux grosses chaloupes. Ces dernières, conçues comme dernier refuge, sont capables de recevoir tout l’équipage et des provisions pour plusieurs mois au cas où le navire serait brisé.
Entrons dans le musée où, d’emblée, la majesté du bateau qui remplit presque tout l’espace est saisissante. Avant d’embarquer, il est opportun de jeter un coup d’œil sur les plans du navire en remarquant qu’il diffère un peu de celui qui est devant nous. Il s’agit en effet de son ultime version, car Amundsen l’a modifié en ajoutant des locaux pour loger les membres de son expédition vers le pôle Sud, plus nombreux que ceux des expéditions précédentes.
On voit que l’arrière du Fram est « pointu ». Cette forme qu’on appelle « arrière norvégien », est caractéristique des dessins de Colin Archer. On remarque sur les profils transversaux de la coque, les arrondis de la coque voulus par Nansen et on en voit les renforts multiples.
La vue longitudinale du bateau y fait clairement apparaitre deux parties. L’une avec des logements à l’arrière, l’autre avec de grandes cales à l’avant. La « zone vie » a été soigneusement isolée et calfeutrée pour protéger ses occupants du froid extrême. Ils étaient treize car Nansen, partisan d’équipes légères et peu superstitieux, s’était entouré de 12 compagnons. On trouve successivement à partir de l’arrière, 2 postes d’équipage équipés de couchettes superposées et 4 cabines individuelles, occupées par Fridtjof Nansen chef de l’expédition, le commandant du navire Otto Sverdrup, l’officier de navigation Sigurd Scott-Hansen et le médecin Henrik Greve Blessing. Suit le « carré », où les treize membres de l’expédition prenaient leurs repas et se réunissaient pour travailler ou lire, jouer aux cartes, faire ou écouter de la musique… A proximité il y a la cuisine, la cambuse et un atelier. Le chauffage est assuré par la cuisinière et un poêle, tous deux à charbon.
Le visiteur se promène dans ces locaux à sa guise, sans pouvoir toutefois complètement y pénétrer. Il est facile de s’imaginer l’ambiance qui pouvait régner dans cet espace resserré, totalement isolé du monde pendant de longs mois dont une bonne partie dans la nuit polaire. L’étrave du Fram a été renforcée par des bandes d’acier pour pouvoir affronter la glace et son gouvernail peut être relevé dans un puits pour le protéger. Le pont est dégagé ; seule sa plage avant est un peu encombrée avec le guindeau qui sert à la manœuvre des ancres et un grand cabestan. Les cabines des membres de l’état-major sont minuscules et spartiates. Dans celle du médecin, une table présente sa « boîte à outils » qui n’est pas rassurante.
La machine intéressera les amateurs de vieilles mécaniques. Noter qu’il s’agit d’un moteur Diesel qu’Amundsen a fait installer à la place de la machine à vapeur originelle, évitant ainsi de devoir emporter un important stock de charbon. Dans la cale, les renforts de structure sont massifs. Une découpe a été faite dans le bordé pour permettre d’en découvrir l’épaisseur et les différentes « couches ».
Le Fram a « fait son travail » et parfaitement résisté à la pression des glaces. Plusieurs expéditions de l’époque avaient connu l’écrasement dramatique de leur navire, précédant dans la plupart des cas une longue errance sur la banquise marquée par le décès de nombreux explorateurs.
Maintenant, fermez les yeux et imaginez que vous y êtes ! Prisonnier des glaces, vous entendez le vent qui siffle dans les haubans et la banquise qui craque autour du navire…
Ne craignez rien cependant, dans quelques minutes, vous allez revenir parmi nous pour retrouver (avec plaisir ?) les charmes de notre siècle.
JM PUJO
Escapade à Oslo
Sébastien
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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