Le 13 février, petit matin, côte-est du Groenland, Tasiilaq, 2000 habitants… Des paysages sublimes, une excitante virée en traîneau à chiens, une tonique balade en motoneige dans les montagnes groenlandaises, bref un merveilleux voyage est derrière nous. Petit déjeuner dans un restaurant désert avant le départ vers héliport, nous sommes en pleine basse-saison, pas âme qui vive à l’hôtel. J’adore !
Nous nous jetons des regards dubitatifs avec Natacha, ma collègue franco-anglaise. Les flocons de neige ne dansent plus comme à la veille, ils se bagarrent violement avec les vitres de notre hôtel. La confirmation ne tarde pas avec l’arrivée de la personne qui vient nous chercher pour assurer notre transfert vers l’héliport pour un vol régional ; elle n’apporte pas de bonnes nouvelles : une violente tempête de neige s’annonce ; AIR GREENLAND annule toutes ses rotations régionales, pas d’hélicoptère entre Kulusuq et Tasiilaq. Pourtant la veille, tout était tellement calme et majestueux.
Demain c’est le 14 février, Saint-Valentin… Mon dîner en amoureux est raté d’avance, ma plaquette de médicaments ultra-importants est vide… Alors, voyons, … Combien pourrais-je demander à la compagnie aérienne pour le retard d’avion ? Combien serai-je payée selon la Convention collective en étant coincée ici pour pendant le week-end ? A moins de plutôt réclamer des jours de récupération pour toutes ces misères ? Comment pourrais-je tirer profit de cette situation « déplorable » ? En plus je n’ai plus des médicaments ! Ça tient presque de l’accident de travail ! Mise en danger de la vie d’autrui au moins !
Je plaisante évidemment ! Et je dénonce cette manie moderne de vouloir être assuré contre tout et tout le monde, prévoir tout, calculer tout, organiser tout, chercher et bien sûr trouver LE coupable ! Allons-y, oublions Dostoïevski et Camus avec leur examen de conscience et leur concept de culpabilité, ainsi que tout le reste, les traditions, les lois de la nature et les approches de nos vieux sages ou parents : on n’a pas de leçons à recevoir, nous sommes modernes, libres, émancipés, « heureux » et surtout pas coupables ! En même temps, la société développe un malaise palpable. On se plaint, entre autres, du manque de piment dans nos vies ; on a soif d’aventure, on a peur de s’ennuyer. A qui la faute ? Mais on ne laisse plus de place au hasard ! Heureusement il y a encore la Mère Nature qui s’en charge, au moins pour la météo ! Il me devient de plus en plus insupportable d’entendre les commentaires de certains « Bidochons » quand l’avion est cloué au sol à cause de la météo ou d’un problème technique. J’adore ce pilote qui a dit un jour aux passagers qui grognaient lors d’un retard : « je préfère nettement qu’on soit en retard de deux heures dans ce monde qu’en avance dans l’autre ».
J’ai été indemnisée pour avoir été coincée au Groenland quelques jours, et bien plus que ce que vous pouvez imaginer…
La tempête m’a offert un spectacle extraordinaire. Qui n’aime pas regarder à l’abri, la mer déchainée ou la pluie diluvienne ? La Nature s’est montrée supérieure. Se sentir tout à coup petite procure un sentiment unique, d’admiration et d’humilité, de respect, face à la force ou l’autorité supérieure, un peu comme lorsqu’un enfant regarde le monde adulte de ses parents tout en étant rassuré par leur présence. C’est tout de même fatigant parfois d’être autonome, indépendante, autosuffisante ! Surtout entre deux bourrasques polaires au milieu d’une tempête.
Notre hôtel construit sur les hauteurs, donnait sur la vallée, la bourgade en contre bas, la mer tout au loin et les montagnes derrière. La tempête est passée, la Nature s’est calmée, mais il fallait du temps pour rétablir les liaisons et tout réorganiser. Les soirées d’attentes se sont succédées. Les petites lumières d’habitations ont fondu peu à peu dans la nuit polaire pour laisser place à une sublime animation de cabaret nocturne très haut de gamme : du vert, du rose, du blanc tout en concert. Je suis restée des heures devant ma fenêtre dans le noir à admirer les aurores boréales. J’ouvrais la fenêtre, je prenais une photo, je la refermais pour me réchauffer et je recommençais… Très sincèrement c’étaient les plus splendides aurores boréales que j’ai jamais vues.
Pour passer le temps, nous sommes allées voir un supermarché local. C’est très intéressant, c’est une mine d’information sur la société, son mode de vie et ses mœurs. Dans le rayon des fruits, par exemple vous n’avez que des pommes, des pommes et des pommes. On en déduira donc facilement que les fruits pourront être un bon cadeau pour nos amis groenlandais lors d’un prochain voyage. Juste à côté des cornes de rennes en vente, des fusils.
J’ai aussi constaté tout au long de nos balades en attendant la venue de l’hélicoptère salvateur, que les petits villages groenlandais n’échappent pas à la consommation de soda. Mais pire encore, certains Groenlandais manquent totalement d’éducation sur la protection de l’environnement. Choquant de voir les canettes rouges de soda ou vertes de bière dans la neige. (L’abondance de canettes vertes jetées au hasard est même devenue un sujet d’une triste plaisanterie en référence au nom du pays, – le pays vert Greenland).
Lors de notre passage au bar local, nous avons eu la confirmation que tous les petits villages du Grand Nord, qu’ils soient groenlandais, canadiens ou russes, connaissent un problème avec l’alcool.
J’ai découvert un hôpital local et son fonctionnement lorsque j’étais à la recherche de mes médicaments : j’y ai appris quelques mots d’inuit dont celui qui fera plaisir aux machos : « arnaq » signifie « femme » en groenlandais.
J’ai passé une inoubliable fête de la St. Valentin avec ma collègue à manger des nouilles chinoises gonflées dans l’eau chaude. L’hôtel est vide, le personnel est parti, nous sommes livrées à nous-mêmes. On court en chaussettes dans les couloirs, on explore la cuisine, on fait du théâtre, on rejoue les scènes les plus célèbres du cinéma français et américains. Mais on discute aussi de choses très sérieuses. J’ai enfin le temps de découvrir ma collègue, sa personnalité, sa richesse humaine, autrement que devant son ordinateur.
Nous avons partagé notre sort avec des Groenlandais, des enfants souriants ; nous avons échangé ou essayé de le faire, nous avons dialogué ou essayé de le faire, au final nous avons ri, beaucoup et franchement.
Enfin, nous avons appris à tricoter. Nous avons acheté au supermarché tout le nécessaire. Ma grand-mère aurait été certainement fière de moi ! Les deux Pénélopes que nous étions attendant notre pilote d’hélicoptère ont tricoté des mitaines (“tajarutit” en groenlandais), pour toutes nos collègues à l’agence. Si vous êtes stressé, vous devriez essayer, ça calme drôlement les nerfs.
On a deux vies, disait Confucius, la deuxième commence le jour où on réalise qu’on en a juste une. Alors, ne perdez pas de temps, occupez vos heures et vos jours perdus. Si vous avez du rattrapage à faire et si vous voulez tout essayer dans la vie, essayez d’être optimiste et… courtois. Il manque de plus en plus des gens courtois…
Nos voyages au Groenland
Julia Snegur
Julia, diplômée en sociologie et en géopolitique, grande voyageuse, notre chère collègue et responsable de la communication
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