De Kastrup à Karup… De mon point de départ à celui d’arrivée, 45 minutes se sont écoulées et deux lettres effacées. Ont-elles été avalées par le mystérieux couloir de l’aéroport de Copenhague ? Je suis impatiente de découvrir la presqu’île du Jutland, seule partie du Danemark rattachée au continent européen, plus précisément à l’Allemagne. Assise confortablement dans le car près de la fenêtre, je me laisse bercée par les paysages défilant sous mes yeux. Scènes de campagnes, forêts de sapins, collines, champs… Parmi les aplats de vert et de jaune émergent ici et là des troupeaux de vaches et de chevaux. De très jolies maisons en briques rouges rehaussent le tableau à l’occasion.
Aarhus, capitale européenne de la culture
Nous voilà arrivés à Aarhus. La deuxième plus grande ville du pays et grande rivale de Copenhague eut l’immense honneur d’être capitale européenne de la culture en 2017 ! Aarhus est de fait très séduisante. Son cœur est sillonné de canaux qui lui donnent un petit air vénitien.
Pas de gondole à l’horizon mais des myriades de cafés, bars et restaurants animés. Leurs lampions s’illuminent au moment où le soleil décline, comme si les étoiles descendaient pour saluer. Perdue dans la contemplation des rayons gourmets des commerces, j’en oublierai presque de dîner, un comble ! Direction Mefisto, l’un des meilleurs restaurants de la ville. Toute la tablée en ressort comblée et intriguée par le mode de cuisson de leurs divines asperges. « C’est fou comme un simple légume peut être magnifié par un chef ! » sera ma dernière pensée avant de tomber dans les bras de Morphée.
Au réveil, je n’ai qu’une hâte : découvrir Aarhus au petit matin. Le quartier latin est une vraie merveille aux maisons rouges, bleues, jaunes, oranges… Un festival de couleurs dont certains motifs (toit en tuiles, pans de bois et vélo posé contre la façade) reviennent en charmant leitmotiv.
Je suis frappée par la richesse architecturale de la ville. L’ambiance médiévale, l’époque Art nouveau (le somptueux théâtre d’Aarhus), la touche années 1940 (l’hôtel de ville en béton recouvert de marbre norvégien dessiné par Arne Jacobsen) et l’ultra contemporain (le musée ArOs) se mêlent en toute harmonie. Même si cela occasionne parfois des face-à-face étranges, notamment celui du diable assis au sommet du toit du Théâtre, défiant la plus grande cathédrale du pays !
Le musée d’art contemporain ARoS
On retrouve cette thématique du bien et du mal dans l’architecture du musée ARoS. Il ne s’agit plus seulement d’un affrontement entre ces deux forces mais d’un véritable voyage, inspiré par la Divine Comédie de Dante, à travers les trois règnes supraterrestres : Enfer, Purgatoire et Paradis. Là encore, les architectes ont signé un chef-d’œuvre ! Le musée est un cube surmonté d’une promenade circulaire, un arc-en-ciel panoramique que l’on doit au Dano-Islandais Olafur Eliasson, architecte par ailleurs de la sublime salle de concert Harpa à Reykjavik.
Mais le plus intéressant se passe à l’intérieur. Au-delà des œuvres de très grande qualité, la visite est en elle-même une expérience. Je ne m’attendais pas à un tel voyage… Le parcours débute dans la partie basse du musée. Bienvenue en Enfer ! Ici règne obscurité et sons lugubres. Les installations jouent sur la lumière, certaines œuvres s’amusant à troubler les sens, jusqu’à duper par des illusions d’optiques vertigineuses ! Cet univers sombre me fait m’interroger sur ce qu’est la réalité. Puis je continue d’évoluer dans les cercles, de monter… La lumière revient et j’aperçois l’œuvre monumentale The Boy du sculpteur australien Ron Mueck ! C’est l’un de mes artistes préférés. Il sait capturer la vie comme peu d’autres. L’hyperréalisme époustouflant de ses œuvres fascine et trouble à la fois. Ses sculptures donnent l’impression d’être vivantes… Ce sentiment de malaise est amplifié par un élément très important : elles ne sont jamais à taille humaine en dépit de leur aspect « plus vrai que nature « . Cela me rappelle les transformations du personnage d’Alice au Pays des Merveilles de Lewis Caroll. Nous arrivons finalement au sommet après avoir erré dans les cercles infernaux et le purgatoire.
Lavés de nos pêchés, le paradis nous attend sous la forme d’un splendide arc en ciel dans lequel nous promener. Cela m’amuse de penser que ce musée existe dans la ville natale de l’astronome Ole Rømer, l’inventeur de la lunette méridienne. Cette boucle aux vitres colorées et transparentes offre des vues à 360° sur la belle Aarhus. Délectation divine. Mais la grande surprise est ailleurs : le cheminement a un impact direct sur le cerveau et le ressenti. Lorsque je progresse parmi les couleurs rouge, jaune et orange, j’ai le sentiment que la température grimpe. Puis celle-ci semble redescendre lorsque j’atteins le violet, le vert et le bleu ! Je me souviendrai longtemps de cette lévitation colorée dans le ciel danois. Rares sont les musées à vous offrir le 7ème ciel en guise d’au revoir.
Voyage temporel à Den Gamle By
Nous nous dirigeons ensuite vers l’autre musée phare de la ville : Den Gamle By (« la Vieille Ville » en français). Si vous avez déjà voyagé dans le Nord, vous connaissez sans doute ce type de musée en plein air. Le concept est simple : réunir en un même lieu les diverses habitations du pays à travers les âges, sous la forme d’un village plus ou moins grand où évoluent des personnages en costume d’époque. Mais celui d’Aarhus est unique.
Il ne vous plonge pas seulement dans le 19ème siècle d’Andersen. La dernière partie du musée est dédiée à des périodes plus récentes : les années 1920 et 1970. Il est bluffant de mesurer à quel point le temps file : les années 1970 pourtant proches recèlent déjà de véritables antiquités ! Je pense notamment aux vieux transistors et téléphones…. On est parfois étonné de redécouvrir les objets qui peuplaient notre quotidien. Ils nous paraissent maintenant étrangement « préhistoriques » au vu des avancées technologiques. Encore une fois, les Danois savent lier l’utile à l’agréable. Ce musée sert également de lieu thérapeutique pour des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. Elles s’y rendent plusieurs fois par semaine comme des pèlerins partis à la conquête de souvenirs disparus. La directrice du musée nous en raconte les effets bénéfiques. Les patients arrivent souvent recroquevillés sur eux-mêmes, silencieux et tristes, coupés du monde. Quel plaisir alors de les voir quitter les lieux sourire aux lèvres, joyeux, se tenant bien droit, certains chantonnant même des mélodies retrouvées ! Le récit de cette anecdote embrume de larmes les yeux de la directrice et me fait frissonner d’émotion. C’est un plaisir de se balader dans cet espace préservé au temps suspendu. L’atmosphère est bucolique, tout paraît serein. On s’y sent bien.
Vais-je m’asseoir sur ce banc et rêver en admirant les anciennes bâtisses ou bien faire un tour de barque ? Des canards sortent de l’étang pour se dorer au soleil tandis que des oies font admirer leur beau plumage. Je savoure chaque instant. Le soleil est au rendez-vous et pourtant je ne peux m’empêcher de franchir le seuil de chacune des habitations. J’ai envie de savoir quelle boutique se cache à l’intérieur, quel univers je vais rencontrer. La vie au Danemark à l’époque d’Andersen défile sous mes yeux tel un enchantement. Pour me préparer doucement au retour à la réalité, je traverse tranquillement les années 1920 puis termine par un clin d’œil amusant : une agence de voyage des années 1970 ! Le car nous attend déjà, il va falloir quitter Den Gamle By, quitter Aarhus…
A suivre…
Emilie
Le Danemark au coeur (1/4) Copenhague
Le Danemark au coeur (3/4) Silkeborg
A la découverte du Danemark
Sébastien
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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