La Laponie, ses rennes et aurores boréales inspirèrent une culture à la riche mythologie, dont le souci d’équilibre et d’harmonie fait écho aux préoccupations environnementales d’aujourd’hui. Le samedi 2 mars à la librairie Borealia, l’ethnologue Karen Hoffmann-Schickel nous initia aux croyances traditionnelles et au chamanisme des Sâmes, qu’elle étudia longuement au nord de la Norvège dans le cadre de sa thèse. Karen mit notamment l’accent sur les rôles et fonctions du renne, animal symbolique par excellence.
Autrefois désignés du terme péjoratif de Lapons, les Sâmes sont l’un des plus de cinquante peuples autochtones résidant dans les régions arctiques et subarctiques. Leur population compte environ 100 000 individus, répartis sur un vaste territoire – le Sápmi – à cheval sur quatre pays : la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie.
Les Sâmes utilisent les alphabets latin et cyrillique pour l’écriture de douze langues, le Sâme du Nord étant la plus diffusée avec environ 30 000 locuteurs. C’est aussi la langue officielle des trois parlements sâmes, en Scandinavie et Finlande. Autre symbole identitaire important, le drapeau sâme fut inauguré en 1986.
La longue histoire des Sâmes avec le renne remonte au moins à 4 000 ans avant notre ère, comme en attestent les gravures rupestres d’Alta, site inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Le renne est toujours présent au quotidien dans leur mode d’être, de penser et d’agir. Si le tourisme est aujourd’hui une source importante de leurs revenus, 36 % des Sâmes sont encore éleveurs nomades de rennes. Vivant en semi-liberté, leurs cervidés migrent l’été vers les côtes sur une distance comprise entre 300 et 600 km.
Les Sâmes classent l’animal en trois grandes catégories : les rennes domestiques, sauvages et ensauvagés. Ils distinguent sept types de rennes domestiques, dont le sonnailler, porteur d’une clochette permettant de le localiser plus facilement, et celui de compagnie, qui a les honneurs d’un nom et de funérailles. Le renne est pour les Sâmes bien plus qu’un animal. Au point qu’il inspira la reconstruction de Rovaniemi après la Seconde Guerre mondiale ! Le grand architecte Alvar Aalto (1898-1976) conçut en effet un plan global d’urbanisme en forme de tête et de bois de renne, l’œil de la bête étant le stade de football.
Malgré l’attention qui lui est portée et son étonnante faculté d’adaptation, l’espèce, qui a très peu évolué depuis la préhistoire, est aujourd’hui en danger. La tique est son plus grand prédateur.
A en croire la mythologie sâme, il fut un temps où l’on pouvait communiquer avec le soleil et la lune, les aurores boréales assurant la traduction. Où il n’y avait pas de chasse, seulement de la cueillette, car les humains, animaux, végétaux et minéraux pouvaient communiquer entre eux, voire s’accoupler. Le Dieu du Vent le permit plus tard aux seuls sorciers, appelés aussi chamans (terme d’origine sibérienne), cela dans un but précis : rétablir l’équilibre, l’entente, l’harmonie entre les êtres. Le chaman peut aussi bien être un humain qu’un renne sauvage ou ensauvagé, un bouleau ou un minéral, le seul pouvoir différenciant de l’humain étant sa capacité à tout détruire. Ce côté obscur, négatif, happe d’ailleurs certains sorciers, qualifiés alors de chamans noirs.
Selon les Sâmes, l’humain a deux âmes : l’âme esprit qui reste dans le corps et l’âme libre qui voyage, au risque parfois de la mort. Au sein de ce peuple qui accorde une grande importance aux rêves, le titre de chaman est autant un honneur qu’un poids. Pour voyager d’un monde à l’autre, le sorcier ingère des champignons hallucinogènes et joue d’un tambour ovale en peau de renne. L’instrument, qui a le pouvoir démontré d’accélérer le rythme cardiaque de celui qui l’écoute, permet au chaman de prédire, guérir et parler aux ancêtres. Lors de sa transe, il peut se métamorphoser, bénéficier du concours d’auxiliaires et voyager d’une sphère à l’autre à dos de renne. Il peut aussi lui arriver de combattre d’autres chamans.
Les rennes blancs sont aussi rares dans la nature que sacrés. Ils sont réputés comprendre le langage de tous les animaux, y compris ceux domestiqués. Certains rituels chamaniques voient les rennes se mettre à chanter… L’ours joue également un rôle éminent pour les Sâmes. Comprenant tous les langages, il peut communiquer avec tous sans avoir à se métamorphoser. Les Sâmes évitent de parler de l’animal et ne le chassent qu’après l’avoir prévenu, car un ours malmené peut attirer la malchance sur la communauté.
Les Sâmes pratiquaient autrefois des sacrifices humains et d’animaux dans des lieux sacrés appelés sei’des. Quand la Norvège interdit les sacrifices d’animaux dans les années 60, certains substituèrent au sacrifice du renne celui du renne-saucisse, boyau rempli d’abats représentant l’animal dans son intégralité. Karen ne fut pas autorisée à assister à une telle cérémonie au motif que certaines choses ne restaient accessibles qu’aux hommes. D’une façon générale, les Sâmes estiment que les étrangers parlent plus de leur chamanisme qu’ils ne le pratiquent eux-mêmes. Il s’agit bien plutôt pour eux de néo-chamanisme.
La conversion des Sâmes au christianisme se fit au forceps, dans le sang des chamans et au prix d’audacieuses aventures spirituelles. Suédois de mère sâme, Lars Levi Læstadius (1800-1861) fonda ainsi le mouvement luthérien très conservateur qui porte son nom. Botaniste et pasteur confronté à la difficile évangélisation des Sâmes, il fit plus que traduire la Bible en plusieurs de leurs langues : il l’acclimata, substituant à ses oliviers des myrtilliers, aux reliefs de la Palestine ceux de la Laponie, y ajoutant même des trolls… Particulièrement implanté dans les pays nordiques, en Amérique du Nord et en Russie, le læstadianisme compterait de nos jours plus de 150 000 pratiquants. Mais au XIXème siècle, les accommodements doctrinaux ne suffirent pas. 300 chamans et leurs tambours, ainsi que des femmes chantant le joik – chant a cappella d’origine chamanique – furent brûlés à Kautokeino en 1872. Il ne reste aujourd’hui que 73 tambours authentiques, répartis dans des musées du monde entier, l’un d’eux étant arrivé au Vatican avec l’étiquette d’objet satanique. Cette histoire tragique explique la méfiance des Sâmes vis-à-vis des étrangers s’intéressant de près à leurs traditions, les ethnologues par exemple… Cela dit, ils conseillent aussi la lecture des cinq tomes de La police des rennes, les polars nordiques d’Olivier Truc !
Les huit saisons du calendrier sâme correspondent chacune à un cycle de la vie du renne. Les mariages et baptêmes ont souvent lieu autour de Pâques, période de moindre activité pour les éleveurs. Le chamanisme est alors toujours présent à l’extérieur de l’église, avec par exemple des courses de rennes, des concours de chants et de lasso importants sur le plan spirituel. Au point que les premières furent interdites en Russie, les rituels les accompagnant étant eux aussi considérés sataniques. Dans un souci d’harmonie, les hommes n’y concourent qu’avec des rennes mâles et les femmes, obligatoirement exemptes de règles ou de grossesse, avec des femelles.
A l’issue de cette soirée, la traductrice et interprète Munkhzul Renchin, déjà connue de nos lecteurs, releva les nombreuses similitudes entre les chamanismes mongol et sâme. Et Karen nous régala de délicieux fromages, qu’elle sera heureuse de vous faire aussi déguster, de mai à octobre, à la ferme-auberge du Hahnenbrunnen, sur la Route des Crêtes en Alsace !
https://www.nord-espaces.com/destination/norvege/le-gout-du-nord/
Sébastien
Sébastien, notre cher collègue est passionné de voyages et d’écriture, il contribue notamment à la communication de Nord Espaces.
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