La Courlande, province occidentale de Lettonie en bordure de la Baltique, doit son nom à la tribu des Koures. Ce n’est qu’une partie de l’ancien duché de Courlande, Etat indépendant (1561-1795) et petite puissance coloniale aux Antilles et en Gambie. Certaines pages de l’Histoire de France furent écrites dans la région. Par exemple à Tilsitt, aujourd’hui Sovetsk, ville russe de l’oblast de Kaliningrad. Après la bataille de Friedland et une entrevue sur un radeau au milieu du fleuve Niémen, l’empereur Napoléon 1er y conclut un traité avec le tsar Alexandre 1er en 1807. L’épisode du Territoire de Memel (1920-1923), autrefois prussien mais placé par le traité de Versailles sous administration française, fut nettement moins glorieux. On se souvient aussi de la fameuse escadrille Normandie, à laquelle Staline attribua le nom de Niémen en 1944. Jean-Paul Kauffmann consacra un livre à cette contrée des confins, longtemps occupée par les Soviétiques et interdite d’accès jusqu’en 1991, qui offre aux visiteurs « ses ciels infinis, ses forêts, ses plages désertes et ses châteaux en ruine détenus naguère par les barons baltes, descendants des chevaliers Teutoniques ».
L’isthme de Courlande – ou flèche curonienne – est aujourd’hui le plus beau site naturel de Lituanie, partagé avec la Russie. Formée il y a 5 000 ans, cette langue de terre s’étire sur 97 km, dont 51 km en Lituanie, pour une largeur comprise entre 380 m et 3,8 km. Elle est prise entre eau salée et eau douce, entre mer Baltique et lagune de Courlande alimentée par l’embouchure du Niémen. Cette grande crête de dunes, formée de sable véhiculé par les courants, se couvrit de forêts. Si le pin domine, on rencontre aussi l’épicéa, le bouleau, l’aulne, le chêne et des espèces uniques de flore des sables. Etape pour 10 à 20 millions d’oiseaux migrateurs chaque année, l’isthme est aussi un refuge pour l’élan, le chevreuil, le sanglier et le renard. En 1809, Alexandre von Humboldt put écrire que « le cordon littoral de Courlande est un lieu aussi particulier que le sont l’Italie ou l’Espagne. Il faut absolument le voir pour contenter son âme ».
L’occupation humaine de l’isthme remonte aux temps préhistoriques. On y trouve tout un patrimoine archéologique recouvert de sable, des villages de commerçants datant des Xe et XIe siècles, d’anciennes maisons de pêcheurs en bois et des phares, jetées, églises, écoles et villas du XIXe siècle. Du fait de l’érosion, des coupes de bois et du surpâturage du bétail aux XVIIe et XVIIIe siècles, les dunes se déplacèrent vers la lagune, enterrant les plus anciennes localités. Les travaux de stabilisation et de reboisement, commencés au tournant du XIXe siècle, continuent depuis lors. Une variété d’herbe des sables aux racines profondes, plusieurs sortes de pins et bouleaux furent plantés sur des milliers d’hectares, si bien que la plus grande partie de l’isthme est de nouveau couverte de forêts. Des dunes de protection furent élevées sur la côte. Dans les années 1970, le pouvoir soviétique fit de l’isthme un lieu de villégiature réservé à la nomenklatura. Classé parc naturel en 1991, il est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2000. Ses huit petites localités font face à la lagune. C’est un paysage culturel de sable et de bois, unique et vulnérable, qui continue d’être façonné par la mer, le vent et l’activité humaine. Une réserve écologique douce, paisible et hors du temps, traversée par une seule route : l’ancienne voie postale de Memel – aujourd’hui Klaipėda, au nord – à Königsberg – l’actuelle Kaliningrad, au sud.
Un ferry traverse les cinq cent mètres du détroit de Memel jusqu’à Smiltyne, à la pointe septentrionale du cordon littoral. Son musée de la Nature présente la géologie, les paysages changeants, la faune et la flore de l’isthme. Un aquarium et un delphinarium occupent l’ancienne forteresse de Kopgalis, construite en 1865 pour protéger l’entrée du port de Klaipėda. Elle accueille aujourd’hui le musée le plus visité de Lituanie, tourné vers la mer, la faune et la flore marines, l’histoire de la navigation. On y voit des pingouins, phoques, otaries et dauphins. Pour aller au-delà de Smiltyne, il faut payer un droit d’entrée au parc national. Juodkrantė conserve des maisons typiques de pêcheurs et un petit port. Les quantités d’ambre qu’on y extrayait lui valurent le surnom de « havre de l’Ambre ». Une promenade dans la forêt recouvrant la Colline des Sorcières donne à voir plus de 100 sculptures étonnantes évoquant des personnages mythiques. Par exemple le dieu païen Perkunas et Neringa, jeune fille qui se transforma en géant pour aider des pêcheurs en perdition. Mieux vaut lui déposer une offrande pour ne pas être changé en nain ! D’importantes colonies de hérons et cormorans nichent à l’ouest de Juodkrantė. Les couchers de soleil sont somptueux. Des renards viennent même partager votre repas du soir ! Pervalka et Preila sont d’autres localités côtières typiques. Aujourd’hui située sur la bordure sud du cordon littoral, à la frontière de l’enclave russe de Kaliningrad, Nida changea plusieurs fois de site pour éviter l’engloutissement. La simplicité et tranquillité de la plus grande station balnéaire permettent de déconnecter de la vie parisienne tout en douceur. Le style de vie local est de longue date celui des pêcheurs, artistes, plaisanciers, pilotes de planeurs et autres voyageurs. On se déplace de préférence à pied ou en bicyclette, pour mieux observer la lagune et les oiseaux. Les dunes de sable blanc s’étirent à perte de vue vers le sud. De ses plus de soixante mètres, la dune de Parnidis est la seconde d’Europe après celle du Pilat. Des troncs nus sont les derniers vestiges de forêts autrefois denses et une statue honore la mémoire de David Gotlieb Kuvert, qui fut le premier à replanter pour stabiliser les dunes. Un musée installé dans une cabane de pêcheur retrace la vie des marins locaux. Le centre culturel est l’ancienne maison de vacances dans laquelle Thomas Mann passa ses étés en famille, de 1930 à 1932. Une visite s’impose au Musée de l’Ambre, dépositaire aussi des amulettes en bois du trésor découvert à Juodkrantė. Les mélomanes viennent à Nida en août pour le festival de jazz.
Moins touristique, la partie russe de l’isthme de Courlande a elle-aussi ses petits villages de pêcheurs, ses beaux paysages de dunes et forêts de pins, son parc national créé en 1987. Le poste d’observation ornithologique indique les voies et mécanismes d’orientation des oiseaux. Il y a une très belle plage à proximité de Morskoye. Du fait de la faible profondeur de la lagune, la température de l’eau monte en été jusqu’à 27°C. L’isthme de Courlande est bien un lieu différent et hors du temps, car protégé.
A lire :
KAUFFMANN Jean-Paul, Courlande, Fayard, 2009
Par Christian Adler, inspiration de retour de voyage
Nord Espaces
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