Périple insolite en Russie profonde

21 juillet 2017
  • Nord Espaces a testé pour vous…
  • Récits & Carnets de voyage

JUIN 2017. Au retour à Moscou, savourant mon périple insolite en Russie profonde, une amie moscovite m’attendait à la gare, vêtue d’un pantalon blanc et d’escarpins assortis à son sac à main. « Mon Dieu Julia, qu’es-tu allée faire à 500 bornes de Moscou ?! », s’est-elle exclamée en me voyant descendre du train avec mon sac à dos et une énorme bosse au milieu du front. Merci au moustique à qui je dois son « On dirait une licorne ! ». Eh bien je suis allée voir une légende en chair et en os… oh, pas une star médiatique… mais une sommité réfugiée dans les forêts, à l’abri du mal-être de ce monde.

Notre blog a déjà consacré en mars un bel article à Valentin Sereevitch Pajetnov. Né en Russie soviétique en 1936, le docteur en sciences biologiques Pajetnov a conçu une méthode, aujourd’hui mondialement reconnue, de réintroduction des oursons orphelins dans leur milieu naturel. Animé par la passion, amoureux fou de la nature sauvage, soutenu malgré bien des difficultés par sa femme, il a fondé en 1985 un véritable hameau familial dans la région de Tver. Son fils, sa fille et plusieurs petits-enfants suivent sa voie. Les premiers gèrent aujourd’hui le centre des oursons orphelins, soutenu financièrement par le Fond international pour la protection des animaux (IFAW).

Âgé de 81 ans, dedouchka Valia (« grand-père Valentin ») est aussi l’auteur de nombreux livres, dont des contes pour enfants sur la forêt, la vie sauvage et bien sûr les ours. Bel et bien amoureux de ses ours, il ne leur montrera jamais toute sa tendresse, car « si je les aimais, je ne pourrais pas leur inculquer la peur des hommes. Or c’est là notre but. L’ours est un animal très intelligent. Si je l’aime, lui aussi m’aimera, car l’amour est souvent réciproque ».

Toute sa famille lui porte une véritable admiration, notamment pour sa philosophie de vie, « bien que parfois dépassée » selon sa fille. Il n’a ainsi jamais accepté les droits d’auteur de l’un de ses livres traduit en français. Etonné, l’éditeur lui a promis d’utiliser cet argent pour faire la promotion de son ouvrage… Tous ceux qui rencontrent le docteur Pajetnov sont envahis d’un élan de sympathie à son égard. Moi aussi, j’ai été conquise par la pureté de son regard, son inépuisable vitalité d’esprit, son humour, l’énergie positive puisée un demi-siècle durant dans les forêts sauvages de Sibérie. Il appartient à la « vieille garde », à la dernière génération témoin de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi celle qui a cru en son pays et tout donné avec passion.

Mes trois jours au village ont filé à la vitesse de la lumière entre les repas en famille, une randonnée ludique en compagnie d’une botaniste,

la relaxation au bania,

un cours passionnant sur les oursons traités comme des vrais bébés (deux nouveaux orphelins sont arrivés la veille dans le pensionnat des Pajetnov)

Pajetnov et ours 10

et un autre sur les loups, suivi d’une virée à la volière où sont maintenus les louveteaux avant de retrouver la liberté.

 

J’ai aussi rôdé dans les environs. Dans un refuge spartiate en bois brut, j’ai vu avec étonnement un portrait de Fiodor Dostoïevski et une reproduction du tableau « Les Chasseurs à la halte » (1871) de Vassili Grigorievitch Perov.

J’ai aussi constaté à certains endroits la renaissance de l’esprit de village. De jeunes moscovites rachètent des maisons en ruines pour bâtir sur leurs fondations. A l’affectueusement nommé « Village d’Amis », les nouveaux habitants extraient pieusement de leur gangue de terre et d’herbe les briques rouges d’une église, ruinée lors de la Seconde Guerre mondiale ou la Révolution. Pas encore de bulbe, cloche ou vitrail, mais des briques soigneusement rangées à l’intérieur, quelques bougies et icônes bon marché exposées aux courants d’air.

Une nouvelle villageoise a aussi fait bâtir sur les hauteurs une jolie terrasse en bois, avec vue sur le lac, pour ses séances de yoga … Tant de choses étonnantes.

Lors de mon dernier thé avec Docteur Pajetnov et ses amis, l’un d’eux s’est exclamé en me voyant : « Regarde-la, elle est en « telniashka » ! » Il s’agit d’une sorte de marinière russe (parfois à manches courtes), portée initialement par les hommes dans la marine impériale à partir de 1874, suite à un oukase du tsar Alexandre II. Certains marins portaient la telniashka lors de la Révolution, ainsi que les soldats soviétiques de l’infanterie de marine lors de la Seconde Guerre mondiale. Elle est toujours portée aujourd’hui par la prestigieuse unité aéronavale, dédiée à la projection de force. On appelle ce vêtement l’« Âme de la mer » et on aime répéter « Nous sommes peu mais nous sommes en telniashka », expression tirée du film patriotique de 1936 Nous sommes de Kronstadt, passée dans le langage courant comme une devise de courage… Voilà pourquoi j’ai eu droit à une bonne poignée de main et à ma place à table…

 

Dans mon livre de Valentin Pajetnov, illustré par le grand dessinateur animalier Vadim Gorbatov et dédicacé par Dedouchka Valia en personne, je lis : « Si la vie de chacun se mesure en jours, en semaines et en années, le souvenir que l’on laisse se mesure aux choses accomplies sur cette terre… ». La Russie profonde se prête si bien aux voyages insolites… Je serai heureuse de faire vivre cette expérience rare à des personnes  passionnées et respectueuses (chapitre précédent, informations ). A suivre…

  • Russie

Julia Snegur

Responsable Développement et Communication

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