En choisissant parfaitement à l’avance ses vacances, séjourner en Laponie suédoise durant l’hiver, permet de vivre un double privilège : d’abord, une déconnexion totale avec son quotidien en se retrouvant au cœur d’un paysage incroyable de neige immaculée pour découvrir certaines des activités traditionnelles du peuple Same ; ensuite aller à la rencontre de l’Histoire en général et d’expéditions scientifiques parfois oubliées grâce auxquelles pourtant la coopération entre les nations aura été une source de progrès considérables comme celle dite « de Maupertuis ». L’Unesco a reconnu ce double privilège en inscrivant sur la liste du Patrimoine de l’Humanité le territoire où vivent les Saamis, la Laponie, ainsi que les témoignages de l’expédition menée par l’astronome Friedrich Georg Wilhelm Struve qui a contribué à définir et mesurer la taille et la forme de notre planète.
Et pour réaliser entre 1816 et 1855 ses calculs, Struve s’est appuyé sur les résultats d’une autre expédition, conduite par un astronome français en 1736 et 1737 sur ordre de Louis XV : Pierre Louis Moreau de Maupertuis. Il est aujourd’hui possible d’aller sur les pas de Maupertuis, en séjournant à proximité immédiate d’Aavasaksa dans un hôtel construit en 1852.
Aavasaksa, au sud de Pello, est la plus ancienne destination touristique de Laponie ; l’endroit avait été repéré rapidement par Maupertuis : c’est un point élevé offrant une vue dégagée à 360° sur le paysage aux alentours ; il offrait la seule possibilité de logement décent à l’époque au presbytère d’Ylitornio – cela compte … – ; accessoirement c’est l’endroit le plus méridional de Laponie d’où l’on peut observer le soleil de minuit. Mais qu’est venu chercher Maupertuis en Laponie ?
Sous Louis XV, on savait déjà que la Terre n’était pas plate comme l’imaginaient certains aux premiers temps. Mais personne ne savait avec certitude quelle forme elle avait : parfaitement ronde ? Aplatie aux pôles comme une mandarine ou une orange – ce qu’avait prédit I. Newton ? Ou allongée aux pôles comme un citron ? La réponse à cette question est loin d’être futile ; il ne s’agit pas seulement de satisfaire une curiosité scientifique, mais de répondre à des impératifs très concrets : de la forme exacte de la Terre vont dépendre les cartes géographiques et donc certaines frontières entre états.
L’expédition de Maupertuis a donc comme objectif de mesurer la longueur d’un degré de l’arc méridien à hauteur du cercle polaire, une zone que Nord Espaces connait bien et pour cause, tandis qu’une expédition similaire est envoyée sur l’équateur se livrer à la même opération, une zone qui deviendra le pays Equateur que Espaces Andins connait bien et pour cause.
Les équipes scientifiques vont utiliser la technique dite de triangulation ; ceux qui ont détesté la géométrie au collège peuvent aller directement au paragraphe suivant … La triangulation est un processus qui permet de calculer une distance entre deux points en utilisant les angles d’un triangle et une des distances entre 2 des sommets de ce triangle ; c’est Thalès qui dans l’Antiquité aurait défini cette méthode pour connaitre la distance d’un bateau de la côte – histoire peut-être de savoir comment régler une catapulte pour détruire un envahisseur : 2 observateurs sur la côte, séparés par un écart bien mesuré, mesuraient chacun l’angle créé par la ligne qui existe entre le bateau et l’observateur et la ligne qui existe entre les deux observateurs. Thalès est aussi connu pour être celui qui aurait calculé précisément la hauteur d’une pyramide en mesurant la longueur de son ombre au sol et la longueur de l’ombre d’un bâton dont la hauteur était, elle, bien connue, ces dimensions étant proportionnelles. Aujourd’hui, à l’heure des GPS, des drones et des mesures laser, tout ceci semble à la fois enfantin et évident. Mais à l’époque …
Nous sommes donc le 18 juin 1736, à hauteur du Cercle Polaire Arctique, dans la vallée du Torne, un fleuve de 521 km qui va se jeter dans la Baltique et matérialisera par la suite la frontière entre la Suède et la Finlande. La luminosité liée au soleil de minuit est forcément excellente à ce moment-là. Pierre Louis Moreau de Maupertuis, astronome, mathématicien et philosophe a 38 ans et il est membre de l’Académie Française des Sciences. Envoyé par le roi Louis XV pour diriger une expédition franco-suédoise il arrive seul, en repérage dans un premier temps, à Tornio et se rend, sur les conseils du gouverneur de la province, à Aavasaksa, où se trouve l’un des plus hauts sommets de la région. Un endroit parfait pour y planter un point de repère visible de loin, bénéficier d’un ensoleillement maximum… Maupertuis passe la nuit du solstice d’été sur la colline d’Aavasaksa, confirme que l’endroit est parfait pour organiser des mesures de triangulation et donne donc le feu vert à son équipe pour le rejoindre.
Maupertuis a été accompagné de trois astronomes français (A-C Clairaut, C-E-L Camus et P-C Le Monnier) et de deux scientifiques suédois, A. Hellant, né à Pello, et A. Celsius, le concepteur de l’unité de mesure des températures que nous utilisons et qui porte son nom, professeur d’astronomie à l’université d’Uppsala, ville suédoise universitaire réputée où il est né en en novembre 1701 et où il décédera de tuberculose en avril 1744.
Dès le 8 juillet 1736, Maupertuis et Camus vont dégager le sommet de la colline pour y installer un dispositif de repérage visible de très loin. Puis, à partir de leur camp de base d’Aavasaksa, les membres de l’expédition procéderont à des mesures d’angle et de distance entre 11 sites de la région, dont le clocher de l’église de Tornio ou la colline de Kittisvaara.
L’expédition passera 10 jours complets au sommet de la colline et y reviendra régulièrement par la suite au cours des mois suivants, y compris durant l’hiver pour vérifier ses calculs ou procéder à de nouveaux relevés dans des conditions de luminosité différentes.
Durant tout ce temps passé sur place, Maupertuis consignera toutes ses observations avec une rigueur scientifique. Or au siècle des Lumières, les savants s’intéressent à tout et le rapport que Maupertuis fera de ces mois passés sur le cercle polaire constitue un trésor d’informations en matière de sciences de la Terre, d’ethnologie, … Il décrira l’éclosion des insectes – mouches et moustiques qui rend insupportable la vie en Laponie au début de l’été, la magie de l’hiver à l’ambiance irréelle, la vie des Finnois et des nomades saamis, les baies sauvages inconnues en France…
En 1956, un monument a été inauguré à Kittisvaara (Maupertuis Memorial) et un autre à Aavasaksa pour commémorer l’expédition scientifique et aujourd’hui encore de nombreux touristes y font un détour pour mieux comprendre comment les scientifiques de l’époque, à force d’ingéniosité et de rigueur, sont parvenus à des résultats très proches de la vérité.
Maupertuis a en effet calculé que la longueur d’un degré d’un méridien terrestre était en Laponie de 1.949 mètres (57,4379 toises pour être précis). Or, un calcul identique à partir des résultats de mesures selon la méthode de triangulation prises à Paris ou en Equateur donnait un résultat différent (57,060 toises aux alentours de Paris, toujours pour être précis).
La preuve était ainsi apportée que Isaac Newton avait raison dans son approche théorique : la planète Terre est aplatie aux pôles et sa forme n’est pas une sphère parfaite et encore moins un citron, mais bel et bien proche de celle d’une mandarine. C’est peut-être ce qui inspirera à Paul Eluard sa phrase célèbre : « la Terre est bleue comme une orange ». C’est surtout ce qui permis à la France d’asseoir sa position de superpuissance maritime du 18ème siècle en devenant une référence en matière de fabrication de cartes maritimes et à Maupertuis de devenir un héros national, membre de presque chaque académie scientifique existante en Europe.
80 ans plus tard, en 1816, F-G-W von Struve, astronome russe né en 1793 à Altona et décédé en 1864 à Saint Pétersbourg, connu pour ses travaux sur les étoiles doubles, initie le projet titanesque de calculer la forme exacte de la Terre. Pendant 40 ans (oui quarante) l’équipe de F-G-W Von Struve va baliser 258 triangles et 265 repères fixes pour procéder à des calculs de triangulation ; ces points fixes sont matérialisés de multiples façons (obélisques, cairns, …) et relieront Hammerfest en Norvège à la Mer Noire, sur 2820 kilomètres suivant le méridien de Tartu (actuellement en Estonie, Von Struve travaillant à l’observatoire de Tartu). Aavasaksa a bien évidemment été retenu comme point de repère majeur.
Un détail historique et géographique : lorsque F-G-W Von Struve réalise ses travaux, les territoires traversés par l’Arc de Struve sont sous la souveraineté de deux états : la Suède et l’Empire russe. Aujourd’hui, 10 pays souverains abritent des témoignages de l’Arc de Struve.
En 2005, lorsque l’Unesco a classé l’Arc de Struve au Patrimoine de l’Humanité, l’organisation a retenu 34 des sites choisis par l’équipe de Von Struve, dont Aavasaksa. Aujourd’hui surmonté d’une tour d’observation, le sommet de la colline ne présente plus les repères utilisés par l’’expédition de Von Struve, trois croix sculptées.
Nord Espaces propose de découvrir cette région magnifique en plein hiver et – on espère pour cela un temps dégagé d’hiver en Laponie – sous les aurores boréales. Un hôtel d’un charme fou de 12 chambres seulement qui date de 1852, un chef français qui perpétue ainsi chaque soir à travers la gastronomie les liens qui existent depuis Maupertuis entre la France et la Laponie et, entre un safari traîneau à chiens et une promenade en raquettes, une autre concession à la modernité et au confort avec le passage du Cercle Polaire Arctique en motoneige.
Aavasaksa connait un été relativement chaud avec des températures moyennes maximales de 20° (Celsius bien sûr), mais en hiver la moyenne des températures minimales tombe à -15°C et les -30° sont franchis tous les ans ! Pensez à bien vous protéger ! Les premiers flocons sont attendus tous les ans fin octobre et le sommet de la colline d’Aavasaksa qui culmine à 242 mètres seulement (mais avec des falaises abruptes de certains côtés) est recouvert d’un blanc manteau de mi-novembre à mi-mai … De quoi avoir un long weekend de dépaysement total en osmose avec une nature préservée et une occasion d’inscrire ses propres pas dans ceux de Pierre Louis Moreau de Maupertuis, il y a 280 ans.
Julia Snegur
Julia, diplômée en sociologie et en géopolitique, grande voyageuse, notre chère collègue et responsable de la communication
Inscrivez vous à la newsletter
Vérifiez votre boite de réception ou votre répertoire d’indésirables pour confirmer votre abonnement.
Article précédentQuelle est l’esthétique de Kaliningrad (ex-Königsberg), la ville de l’ambre ?
Article suivantFINNISH BREAK : où aller pour un enterrement de vie de jeune fille ou de jeune garçon ?