Le Kamtchatka a sa propre mosaïque ethnique : Itelmènes, Evènes, Koriaks, Tchouktches, Aléoutes… Les éleveurs de rennes sont traditionnellement les Koriaks, les Tchouktches habitant le nord de la péninsule du Kamtchatka et les Evènes habitant la partie centrale du Kamtchatka. Ce monde des éleveurs nomades reste une énigme pour la mentalité occidentale qui semble fascinée par leur mode de vie ancestrale. Il y a quelques années le réalisateur et documentaliste Olivier Gabersek m’avait demandé de traduire le scénario d’un film mettant l’accent sur l’intrusion néfaste de la modernité, y compris occidentale, dans la vie des nomades. Une belle étrangère est à l’origine d’un drame mortel dans une famille koriak. Qu’est ce que l’amour, le flirt et l’amitié pour les uns et pour les autres ? Quelle place est attribuée à la femme ici et là bas? Qu’est ce qui est éternel et que c’est qui est éphémère ? Ces mêmes questions, Anne-Victoire Charrin, anthropologue, spécialiste des cultures des autochtones de Sibérie, qui a vécu chez les Koriaks, se les ai aussi posées … Comment créer des liens positifs ? Que pourrons nous nous apporter les uns aux autres ?
Quand vous êtes au Kamtchatka, avant de rencontrer les éleveurs, il ne faut pas manquer le village d’Esso (« mélèze » en langue évène) pour son musée exceptionnel qui héberge des objets rarissimes des peuples premiers du Kamtchatka. Pour tous ceux qui n’aiment pas les musées, je vous rassure : c’est très ludique et captivant ; vous pourrez entrer dans les habitations des Koriaks, des Evènes et même des Cosaques ; vous étonner de leur incroyable esprit pratique et malin, défiant toute modernité pour survivre en pleine nature.
Nous sommes particulièrement liés à une famille évène ; c’est chez eux que nous nous rendons tous les ans comme là en août 2017.
Comme le village d’Esso est entouré de montages, il nous faut au moins 30-40 minutes d’hélicoptère pour y aller, franchir le col de la montagne qui abrite la plaine où la famille évène élève des rennes depuis des générations. Là aussi, il fallait patienter à l’héliport. Comme souvent au Kamtchatka, le matin, tout le paysage est naturellement pris dans le brouillard. Nous attendons le feu vert de la tour de contrôle pour décoller ; cela ne nous empêchera pas à mi-chemin d’être finalement contraints d’atterrir – sécurité avant tout – pour attendre et observer la brume se lever doucement.
Personnellement, je ne suis pas mécontente de ce moment inattendu : il y tant de baies à cueillir autour de nous, mais aussi des champignons et la précieuse racine d’or du Kamtchatka, le remède ancestral des populations locales. Et puis j’ai le temps de papoter avec les pilotes, rire de quelques-unes de leurs blagues, grimper sur le toit de l’hélicoptère pour crier qu’il ne reste qu’un bout du brouillard, descendre vers la rivière glacée et admirer la vue matinale sublime sur la vallée.
Cette fois, les rennes sont en pâturage loin du camp ; on récupère au passage un berger qui nous indiquera où il faudra se poser. Parce que même 2 000 têtes de rennes sont difficiles à repérer dans l’immensité de ce paysage des montagnes. La, voilà !
Nous nous posons au pied de la montagne ; le troupeau est sur la pente et donc remarquablement positionné pour l’observation. Avec leur troupeau, les trois bergers vont descendre dans la vallée progressivement. Le troupeau progresse curieusement, tout en tournant sur lui-même dans le sens de l’aiguille de la montre, de façon très compacte ; c’est pour cela, vu de loin, que nous avons impression d’être face à un cours d’eau ou un plan d’eau qui coulerait sur la pente de la montagne.
Une fois en bas, nous pouvons les observer en toute sérénité. Des petits, des gros, des noirs, des blancs, … une mer de corps fumants et de cornes en bois qui récréent des vagues.
Je revois les mêmes visages que les années passées, comme si le temps s’était arrêté ici. Je m’étonne toujours face à cette énergie vitale d’un grand-père qui parcourt tous les jours des kilomètres et des kilomètres, avec des centaines de mètres de dénivelé, fusil au dos et canne en bois à la main. La sérénité, la simplicité, la bonté sont écrits sur son visage.
Nous nous asseyons dans l’herbe pour papoter un peu ; il nous dira que les ours sont vraiment pénibles cette année et qu’il y en a trop, que les petits rennes étaient nombreux à naître… et nous pique-niquerons dans ce restaurant sur herbe… le plus beau du monde face à l’éternité d’hier et de demain.
Comme d’habitude, on laissera du thé, du sucré, du chocolat, du sel, du pain tout ce qui peut être utile et tout ce qui apporte des plaisirs simples, sans déchets. On récupérera au retour une côte de renne fraiche entière que nous allons passer à la famille de nos hôtes installée à Esso. Parfois il m’arrive d’emporter des fragments de cornes : les éleveurs les scient pour que les bêtes ne se blessent pas en se battant. La viande séchée de renne, accrochée dans la yourte au-dessus du feu, n’a pas une grande finesse en matière de saveur, mais je vous conseille vivement de la goûter : cela ne ressemble à rien de ce que vous connaissez.
Cette année 2017, nous sommes tombés en pleine fête du village d’Esso et à notre retour nous avons pu profiter des festivités et des jeux. Certains y ont même participé de bon cœur. (Tu étais parfait, Étienne 🙂 !)La petite assiette de dégustation que j’ai apportée a été vidée. Nous avons franchement apprécié la nourriture préparée par les anciens pour leurs enfants il y a des siècles, même si il faut avouer que nous étions d’abord poussés par la curiosité de la découverte : le poisson désossé, plongé dans l’eau bouillante, sorti, rendu en purée et mélangé à des baies.
La fête du village c’est aussi l’occasion d’acheter des tisanes, des herbes médicinales et d’observer tout simplement le peuple vivre.
De retour chez nous, je demande à notre hôte d’appeler son ami artisan qui va venir nous exposer ses œuvres. Ce maître fourni les boutiques de la capitale du Kamtchatka (Petropavlovsk) mais acheter directement chez lui est non seulement avantageux en termes de prix, mais la rencontre est en elle-même intéressante. Il nous présentera des objets fabriqués en bois de renne, en côtes de renne, en dents et en griffes d’ours … Les pièces les plus chères sont des couteaux sculptés, des vraies œuvres d’art… Deux de notre groupe se laissent séduire par ces couteaux traditionnels, solides, fiables et très beaux.
Moi j’ai été séduite par une sculpture exposée au musée d’Esso fabriquée en bois de renne. D’une finesse rare, … elle n’était évidemment pas à vendre… Des objets d’artisanat sont vraiment divins mais les gens, ces éleveurs de rennes vivant une vie simple, sont passionnants par leur regard sur la vie et leur sagesse. Voyage « ‘Opéra sauvage du Kamtchatka ».
Julia Snegur
Julia, diplômée en sociologie et en géopolitique, grande voyageuse, notre chère collègue et responsable de la communication
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