Vladimir Pouya – Photographe, réalisateur-opérateur de films documentaires sur les éleveurs de rennes de la région de Tchoukotka répondit à quelques questions lors de son passage à Paris.
Votre nom Pouya ne sonne pas vraiment russe. Est-ce un nom tchouktche ?
Oui, en effet : c’est le nom « personnel » de mon père qui lui était donné par sa mère. Dans les années 40, quand les soviétiques ont commencé à délivrer les passeports, mon père a donné ce nom qui est devenu notre nom de famille.
Que veut dire le nom « personnel » ?
Le nom personnel est une sorte de surnom qui est propre à la personne. Chez les Tchouktches le nom personnel peut signifier tout, plus « précisément » tout ce qui nous entoure et tout ce qui est passé par la tête de sa mère à un moment. C’est pour cela qu’il est très personnel et représente plus qu’un son qu’on reproduit pour appeler quelqu’un. Pouya signifie « un petit noir » : « un petit garçon qui a traîné à côté du foyer et s’est sali avec du charbon ».
C’est amusant, et que signifiait le nom de votre mère ?
Ma mère était une chipie, semble – t il … Son nom signifiait « petite sorcière de la toundra ». Moi aussi j’ai eu un « celui qui apporte les oiseaux ». Mais ce n’est pas tout : à part le nom personnel, nous avons aussi un nom qui nous est donné en mémoire d’un parent disparu et à qui la famille accorde de la considération. Un rituel nous permet de savoir qui est revenu parmi nous à travers la naissance et c’est ce nom qui est attribué au nouveau-né.
Y a-t-il d’autres particularités de la culture tchouktche ?
Oui, il y a une langue singulière que nous essayons de sauver… Dans notre langue tchouktche, nous avons un parler pour les hommes et un autre pour les femmes : les hommes ne parlent jamais comme les femmes.
Tous les peuples ont leurs sages. Que disent les vôtres? Qu’est-ce ce qu’ils considèrent comme essentiel pour notre société ?
Pour la NOTRE, vous voulez dire ( sourire). La base de la sagesse est un savoir raisonné qui fait perdurer le peuple, la vie en fait. Le mot clé chez nous est la rationalité. Tout est rationnel dans le Nord, puisque cette rationalité est une condition de survie. De ce fait, même la religion, les croyances, les moeurs, barbares pour certains n’est-ce pas, sont là pour permettre au peuple de survivre le mieux possible dans cet environnement très difficile pour l’homme. La mortalité est très importante dans la toundra…
Y a-t-il une égalité entre homme et femme dans la communauté tchouktche ?
L’égalité ? Je ne comprends pas… L’homme et la femme sont égaux simplement parce que l’un ne survivra pas sans l’autre. La survie dans la toundra exige un partage des tâches et l’éleveur de renne n’existe que grâce à une femme qui maintient le foyer et réciproquement. Notre civilisation est fondée sur la famille, à la fois en termes de fonctionnement et en termes de transmission du savoir.
Dans notre civilisation occidentale moderne, certaines personnes pourraient ne pas vous suivre sur ce sujet …
Oui, j’en ai conscience (sourire) : j’ai su apprécier les cathédrales de Paris et les vieilles pierres témoignages de la civilisation occidentale. C’est fascinant ! Nous, nous avons été traités souvent comme des barbares ; nous le sommes encore. Les éleveurs vivent avec les rennes sauvages dans des conditions impensables pour quiconque est habitué à la civilisation occidentale moderne. Mais qu’est-ce que la civilisation ? Ce qui me choque le plus dans cette civilisation moderne, ce sont des décharges abominables qu’on n’arrive pas à traiter… de quelle civilisation parlons-nous ?
Comment votre civilisation tchouktche transmet actuellement son savoir ?
Nous avons quelques problèmes … Le lien familial a déjà été brisé au moment où la scolarisation des enfants a été rendue obligatoire. Le statut du nomadisme est totalement absent de notre législation russe. De la même manière, les lois fédérales sont appliquées en Tchoukotka, comme partout ailleurs, sans se soucier de notre contexte très particulier : prenons la loi sur la protection de l’enfance qui perturbe la vie familiale des familles nomades. Par exemple, une mère après la naissance de l’enfant est obligée, en principe, de quitter la toundra, le congé de maternité peut durer en Russie jusqu’à 3 ans et on n’a pas de droit d‘amener les enfants dans la toundra. Mais évidemment beaucoup le font. De même, le code « routier » interdit de transporter les enfants en motoneige en dessous d’un certain âge. J’ai déjà dit que le reste du pays est une autre planète. Ce que nous demandons c’est de nous laisser élever nos enfants comme nous l’entendons. Nous avons survécu pendant des siècles et aujourd’hui on nous désapprend à vivre et à survivre dans la toundra…
A part les visites culturelles, quelle expérience vous a marqué lors de votre visite en France ?
Gastronomique évidemment (sourire), tous ces fromages que vous avez…Ah oui, j’ai été invité à la chasse … j’ai vu de vrais hommes français…
J. Rugens & A. Chabrie
Nord Espaces
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